Dans le plus pur style lovecraftien, nous nous contenterons de dire que ce récit a été retrouvé griffonné à la hâte, sur un carnet CapGemini trempé, dans la salle de bain de l'appartement A59 sur la 20th Street, Boulder Colorado, appartement complètement vidé, inondé et fermé à clé de l'intérieur. Âmes sensibles...
Si vous avez suivi, vous comprenez que je n'ai été familiarisé avec la douche à l'américaine qu'assez tardivement ici, puisque privé de valise et de facto de douche pendant 24h. Quoique, à bien y réfléchir, la douche je l'avais plutôt prise pendant 24h... Bref.
J'avais donc déjà eu l'occasion de me taper une dizaine d'aller-retour sous le canapé - merci les interrupteurs - quand je découvris la bête. J'étais, prudent, anxieux de ce que ça allait être. Un simple cône. Un cône qui sortait du mur, avec une liaison rotule l'y attachant permettant une petite rotation de la tête sur une dizaine de degrés sur 2 axes. Je me suis dit que je devais voir et avoir ici uniquement l'armature de la douche. Mais, non, après la confirmation - très étonnée - d'un voisin, c'était bien un pommeau de douche classique. Enfin, surtout, pas cher.
A ma première douche - puant mais pas fou le coco - j'avais actionné la douche en me tenant à l'extérieur de la baignoire. Pour un entendre alors un son cthulhuesque. Un bruit suraigu (un peu genre île de Callirhoé-dark side pour les vieux de la vieille ;), ou encore simplement moi jouant du flutiau). Un cri. Un appel. Qui cesse soudain, et le pommeau vibre un instant avant d'exploser de l'eau à peu près partout et de se calmer après quelques secondes de panique pure. Je n'avais pas encore de rideau de douche à l'époque, j'en ai donc profité pour laver le sol de mon appart.
Donc, j'en ai arrêté avec le pommeau pourri, j'ai tout démonté. Et j'ai remonté un vrai truc avec un tuyau, qu'on peut suspendre au dessus de sa tête et qu'on peut utiliser, entre autre, pour rincer la douche après, parce qu'avec ce dispositif pourri, laver la salle de bain ainsi que le salon même c'était tout bon, mais la douche, ça non ! J'ai appris à cette occasion que faire de la plomberie, ça mouille. (et oui le feu ça brûle, et tous les oiseaux blablabla...)
Et donc, ce matin, je vais prendre une douche. En mode blond, vous me connaissez bien le matin : "dibadibadoum, ahah je me ferai bien une petite douche bien fraiche pour me réveiller. Dibadi [une pause, regard à la caméra] Badoum.". Je suis dans la douche, je tourne un premier robinet, le chaud, prêt à ouvrir le froid. Mais j'ai à peine tourné le machin, que le cri du pommeau retentit de nouveau ! Je me fige, dans la douche, tel Spip, l'écureuil américain, apercevant un mouvement
Tout s'est passé très vite. Alors que j'écarte le pommeau d'une main preste, l'autre empoigne le robinet du froid et essaye de le tourner. Mauvais sens !*. Se produit alors ce moment fatal où l'eau jaillit, non du pommeau, mais d'abord de la jonction dans le mur (!), traversant par là-même le petit bout de scotch que mes talents de plombier amateur avait estimé suffisant à le contenir, à contenir la Bête ! L'eau est immédiatement tiède puis vite, très vite, très chaude. Réflexe vital, je lâche le pommeau - le vrai à présent, celui que nous connaissons nous les civilisés - pour me protéger les yeux. Mon autre main finit par arrêter de s'obstiner à visser ce putain de robinet et ouvre enfin à fond l'eau froide. Et là, l'eau jaillit bien sûr à forte pression du pommeau abandonné, laissé libre et pendouillant mollement devant ma poitrine**. Mon torse encaisse une douche bouillante puis glacée, je rejette par réflexe ce pommeau démoniaque. Celui-ci frappe le rideau de douche, puis le contourne tel un Sud-Africain face à la défense française, s'enroule derrière... et, méticuleusement, inonde ma salle de bain avant que j'ai eu le temps de couper les vannes.
A présent, à chaque douche, à chaque déverrouillage de robinet, la peur me prend au tripes. La peur d'entendre l'appel du pommeau de douche, dont la prophétie, formelle (induction, induction...), annonce qu'à chaque fois qu'il se produit, il innonde tout autour de lui. La dernière fois j'ai eu de la chance. La dernière fois, je m'en suis tiré. Tout à l'heure, je suis allé dans la salle de bain. Le pommeau m'a vu. A présent, il me regarde.
* Désolé, mes chers parents. Vous avez essayé de me faire comprendre, toute ma vie, qu'il fallait tourner le robinet dans un sens. Et j'avais du mal. Et bah ici, ils font comme moi j'ai envie de faire à la maison... Et donc forcément je tourne à présent ici comme on tourne les robinets en Europe.
** Je me rend compte que je suis en train de décrire un combat contre un pommeau de douche... Mais où cette vie épique s'arrêtera-t-elle ?!