jeudi 24 juin 2010

CCD - Chrystal clear dignity

Aujourd'hui CNN et Fox News sont en ébullition. Plus que d'habitude en tout cas. Plutôt que de continuer l'élagage du marronnier mazouté qui les occupent depuis deux mois -- et alors que la fuite a repris de plus belle -- ils discutent de la "resignation" (démission) du général McChrystal. Encore une occasion d'étudier un peu plus la mentalité américaine.

McChrystal : Beuarh ?
Obama : Qu'est-ce que je vais faire de toi... ?
McChrystal : Beuarh...


Pour ceux qui n'ont pas suivi l'affaire, un petit rappel.

Un journaliste du journal Rolling Stones, pas franchement pro-militaire, a été autorisé à s'entretenir avec le général McChrystal, général en chef des armées alliées en Afghanistan. Cependant, c'était à l'époque du volcan islandais... Le journaliste a donc été bloqué, à Paris si j'ai bien entendu, avec le général McChrystal et son staff pendant un certain temps. Et on l'a laissé prendre des notes. Il a ainsi entendu et on lui a confié des trucs qui n'auraient jamais dus être confié à un journaliste (et qu'il était malsain de penser au sein du staff d'un général en chef).

Un peu comme l'affaire Anelka, mais c'est un petit peu plus important ainsi, puisqu'il s'agit de la descente en flèche de l'administration Obama et des responsables civils de la guerre en Afghanistan. Morceaux choisis : certains sont traités de "clowns", Joe Biden renommé "Joe Bite me !" ("Joe, Va te faire foutre !" en moins vulgaire), etc. Barrack Obama en prend un peu pour son grade également, sans insulte aussi forte pour autant. Le plus étonnant est que ce n'est jamais McChrystal qui balance ces bêtises, c'est juste son staff (sauf quelques citations, mais toujours données par le staff).

Avant même que l'affaire n'éclate, puisque le journal devrait sortir vendredi, McChrystal a envoyé un télex s'excusant platement puis il est venu à la Maison Blanche s'entretenir avec le Président Obama. Comprendre : venir présenter sa démission au Président. Aujourd'hui, le Président Obama a annoncé qu'il avait accepté cette démission, avec tristesse néanmoins.

 
Sad President Obama is sad.


Un peu sévère.

Essayons donc de comprendre pourquoi le président américain aura choisi une telle issue... et à quel point la France pourrait apprendre, je pense, de cette façon de voir les choses.

Aux Etats-Unis, les chefs sont responsables pour tout ce qui se passe sous leur direction. Par exemple, le Président Obama s'est excusé pour BP. WTF ?! Oui il s'est excusé, et a pris sur lui la responsabilité de l'accident d'une plate-forme maritime de forage pétrolier, dont il n'avait jamais su l'existence avant qu'elle explose. Parce qu'il est Président à ce moment. Parce qu'il représente et incarne l'Etat, et que l'Etat doit imposer aux entreprises de ne pas faire n'importe quoi. Il est responsable in fine. Alors aucun américain ne lui en veut pour cette explosion : certains lui en veulent pour sa gestion post-explosion, mais personne ne lui reproche l'origine de ce drame. Mais tout de même, il prend sur lui la responsabilité de l'accident.

En France, et dans beaucoup d'autres pays du monde je pense, ça ne nous viendrait même pas à l'esprit. Quand Raffarin va shooter dans des patasses de pétrole, sur la côte Atlantique, il blâme les autres. Bien sûr, ça n'est pas sa faute. Le pauvre ! Avec toutes les casseroles qu'il avait, on allait pas non plus lui foutre le naufrage du Prestige sur le dos... Surtout que c'était pas vraiment en France que ça c'est passé...

Pour le pauvre McChrystal, il y a en plus l'importance du symbole pour les Américains. L'armée doit, dans tous les pays, montrer un soutien indéfectible à sa classe dirigeante, c'est certain. Mais pour les Américains, le symbole est encore plus important. Un général qui taille - officieusement ! - des élus civils dont il dépend, c'est l'armée entière qui souille - officiellement - la classe dirigeante donc - et ça c'est très américain - directement le peuple. Démocrates et républicains, même Fox News, ils sont tous d'accord : le comportement est inadmissible, le général devrait être viré. Ils sont nombreux à dire : ce mec est un excellent soldat et tacticien, il travaille comme Hercule là-bas, c'est l'homme de la situation. Il n'empêche : il ne mérite plus ce poste.



Langue de bois, cette histoire de responsabilité du chef ? 

Je ne pense pas. C'est surtout une histoire de savoir reconnaitre publiquement qu'on a fait une erreur, qu'on aurait du mieux agir. En France, c'est probablement considéré par les politic(h)iens comme un geste de faiblesse de dire "je me suis planté". Quand Nico le fait, que dit-il, en fait, à chaque fois ? Il dit "J'ai merdé, mais franchement c'est pas facile tous les jours... et avec Carla, ma femme, et tout... mettez-vous à ma place !" hum. Essayons de rester sérieux.

Le Président Obama dit "J'ai pas fait attention. Le gouvernement et moi-même, on aurait dû s'en occuper de ces problèmes de contrôle de sécurité". McChrystal dit "J'ai été peu avisé, j'ai mis le Commandant en Chef de mon pays dans une situation intolérable, je n'aurai jamais du faire ça. Je n'ai pas d'excuse et je n'en mérite pas." Et ce n'est pas de la langue de bois, il le pense réellement. Ce n'est une auto-flagellation de bouc émissaire, ils ne prennent pas la responsabilité d'un acte, comme ça, pour faire plaisir à l'opinion. Quand on dit au Président Obama "Bouh, vous n'avez pas assez agi au début sur BP, et même maintenant !", il ne pense pas avoir commis une erreur au contraire alors il ne s'excuse pas. Somme toute, they keep it real.

Quoiqu'on pense du général McChrystal, quoiqu'on pense de la personne de McChrystal, et avant même de se demander s'il avait raison ou non de penser cela... savoir assumer la responsabilité de ses actes, de ses dires mais également du staff que l'on commande, c'est selon moi une preuve de grande dignité. Et si tout le monde ici a trouvé sa conduite intolérable, l'homme reste, au yeux de beaucoup de commentateurs - y compris le journaliste auteur de l'article - une personne de grande valeur et le militaire, un grand général.




Appliquer ça France, où ça ? 

Bon, je vais me contenter de sélectionner un top 3.


1. Sarko
C'était facile. Mais mérité. Grandis merde !

Parce qu'être chef, ça ne veut pas dire être celui qui fait gagner le pays et qui n'a rien à voir avec les erreurs commises.


2. Procès Kerviel.
Le pauvre garçon prend très cher. Difficile de savoir le fin du fin dans cette histoire. La Sogé a probablement profité de cette affaire pour dissimuler quelques pertes sur actifs pourris, mais de là à croire qu'un seul dirigeant de cette banque pouvait dormir tranquille en sachant que Kerviel misait plus que les fonds propres de sa banque sans aucune assurance c'est du délire pur. L'appât du gain j'y crois volontiers, mais là ça n'a rien à voir. On aime bien jouer au PMU de temps en temps, même risquer quelques milliers d'euros pour certains, mais on parie pas le double de toute sa fortune et tous ses biens sur le PMU.
Je pense donc que ses chefs ne sont pas coupables. En revanche, ils sont responsables. Tous, jusqu'au dernier. Je dis pas que ce sont des méchants, je dis qu'ils sont responsables. Ils doivent prendre leur responsabilités, assumer ce qui s'est passé. Bouton peut faire le cinéma qu'il veut, et il a le droit d'en vouloir à Kerviel, ça oui. Mais qu'il assume à la fin l'entière responsabilité de ce qui s'est passé.

Parce qu'être chef, ça ne veut pas dire être celui qui fait gagner la banque et qui n'a rien à voir avec ses pertes.


3. Procès Domenech, FFF et tout le gymnase avec.
C'est marrant, on prend une branlée et la première chose que tout le monde dit c'est "c'est pas ma faute c'est la faute de mes subordonnées ou de mes supérieurs". Je ne sais pas comment vous le vivez, à la maison, mais vu d'ici, ça fait franchement honte.
Pas pour le ballon, je m'en fous un peu de la coupe du monde, on l'a gagné une fois, c'était mythique, j'étais là, bon... voilà. Pas pour le niveau de jeu, bien sûr ça fait jamais plaisir de perdre... Mais pour la façon dont tout le monde se renvoie la balle -- pour une fois que ça joue un peu !
Les joueurs disent "Nan c'est la faute du traître". Le sélectionneur dit "J'ai rien à me reprocher, allez tous vous faire foutre..." A la FFF, on veut faire des enquêtes pour déterminer qui sautera. Dans cette ambiance, il est compréhensible que l'Equipe se mette à ne piger que du sang et des larmes parce que c'est tellement atterrant qu'on préfère enterrer l'équipe plutôt que de la soutenir.

Parce qu'être chef, ça ne veut pas dire être celui qui fait gagner l'équipe et qui n'a rien à voir avec la débâcle.

Si je peux l'assumer, pourquoi pas vous ?



Finissons sur une note positive. Les ricains ont battus l'Algérie ce matin. Victoire 100% mérité avec notamment un but refusé sans raison au tout début du match. Ils font plaisir à voir courir. Ils savent pas jouer au soccer, mais ils y sont pourtant super bons.

Epic win is epic =D

4 commentaires:

  1. La responsabilité du chef...

    L'expression est un pléonasme : être chef, c'est être responsable. Responsable de ses propres actions, comme n'importe qui, mais aussi et surtout de celles d'autrui dont on a la charge. Chef d'Etat, ministre, élu, patron d'entreprise (grosse ou petite), gradé de l'armée (du sergent au général), chef spirituel (Pape, évêque, rabin ou himam), chef d'établissement scolaire, parent (oui, le parent d'un mineur est aussi un chef !), être chef c'est diriger.
    Cela ne signifie pas seulement décider et éventuellement donner des ordres comme l'imaginent certains esprit limités. C'est endosser une responsabilité individuelle et collective. C'est répondre de ce qui advient sous sa direction, qu'on l'ait décidé directement ou non. C'est par conséquent assumer les triomphes (les médailles, les primes, etc) aussi bien que les échecs (pénalités, démission,etc).

    Une fois qu'on a dit ça, on devrait avoir tout dit. Alors pourquoi ça ne fonctionne pas ainsi, partout et tout le temps ?
    Pourquoi voit-on tant de chefs qui ne veulent que le bénéfice de la réussite mais pas le blâme de l'échec ?
    Il y a des raisons psychologiques, sociales, historiques et politiques (au sens latin de res publica comme au sens moderne de cuisine politicienne). Très long à développer...
    Je ne connais pas assez les autres pays pour en parler avec sérieux. Je ne me permettrai donc que de te soumettre quelques éléments d'analyse pour la France.

    (suite dans un autre commentaire ...)

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  2. Pour le dire vite, nous sommes une société de l'ancien régime qui utilise la structure de la démocratie à ses valeurs. Ce n'est plus la noblesse ou le clergé qui bénéficient de certaines prérogatives concrètes et morales, par la naissance ou la fonction de médiation avec le divin, c'est le chef, quel qu'il soit, y compris le chéfaillon d'un sous-service. Nous sommes dans une société où diriger c'est recevoir un titre comme un droit, et pas le devoir qui va avec. (De façon générale, nous fonctionnons cramponnés à nos droits, qui se multiplient sans cesse , et curieusement sans aucune relation avec nos devoirs afférents...)

    Mais cela s'est insinué beaucoup plus profondément. Notre société a construit une représentation de la dignité humaine comme un droit, et non comme un devoir. Les lecteurs aveugles de Pic de la Mirandole ne voient aujourd'hui dans son De dignitate hominis que la reconnaissance fondamentale de la liberté humaine. Pas son insistance sur la difficulté de cette liberté : c'est parce qu'il est reponsable de lui-même que l'être humain est digne, c'est cela même qui fait sa dignité. Liberté, dignité et responsabilité sont indissociablement liées.

    Au niveau collectif, un chef est digne parce qu'il est responsable de ce qui se passe sous sa direction. S'il n'accepte pas tout ce que recouvre cette responsabilité, il refuse sa dignité de chef. La seule et triste liberté dont font preuve les chefs de pacotille qui ne veulent pas être des hommes responsables, c'est de perdre leur dignité.

    Tu me diras : "Et alors ?"
    Et je te répondrai : "Ben rien...".
    Si on vit parmi des indignes, c'est aussi qu'on en est responsable en partie, à son échelle propre...

    Aujourd'hui il y a une grève nationnale en France contre la réforme des retaites concoctée par Sarko and Co. On attend une très grosse mobilisation. La France sait très bien faire ça.
    Moi, j'aimerais bien aussi qu'il y ait de tant en temps une grosse mobilisation contre l'esprit de sottise générale, contre l'irresponsabilité des responsables, contre l'égoïsme pathologique des individus, contre la démission des parents, contre la bêtise pédagogisante des programmes scolaires, contre la dictature de la santé, contre la confusion de la culture avec le divertissement, contre la mémoire de poisson rouge qui remplace la reflexion, contre la société des loisirs, contre...

    Bon, en attendant, Christian Blanc va rembourser les 12 000 euros de cigares que nous lui avions offert sans le savoir. Rien de plus.
    Et comme le disait un certain capitaine d'équipe de foot, au fond, ce qui est grave, c'est que cela se sache...

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  3. Bel article et beau commentaires ! Je ne suis on ne peut plus d'accord, les anglais sont un peu dans ce style, que je trouve assez "fair-play", d'ailleurs. Mais la Sarkozie est très, très loin de ça, en particulier récemment. Inclue Woerth dans ta liste, qui aurait démissionné depuis longtemps dans un pays civilisé...

    Voir par exemple :
    http://www.marianne2.fr/Woerth,-Bettencourt,-Guillon-Un-parfum-de-republique-bananiere_a194422.html

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  4. Merci Ben !

    Je ne suis pas d'accord avec cet article : ce n'est pas qu'un parfum de République Bananière, c'est une République banana split géant qu'on nous agite devant le nez depuis quelques années! :p

    En relisant l'article, je me rend compte que je commence à être victime du mème : "X truc is X" ! C'est parce qu'aux Etats Unis, ils écrivent ça partout aussi, je me crois dans un lolcats parfois (ce sera l'occasion d'un billet avec photos d'ailleurs) !

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